L.I.E.U:
avec Michel Doneda et Claire Newland
EXTRAIT PRESSE
Chronique de Philippe Alen -improvisation In situ- janvier 2023
« (…) Le saxophoniste est assis, au coin, au fond à droite ; la danseuse debout, au coin, au fond à gauche. Le son naît fragile du soprano, retenu, divisé, lointain. Écartelé. Plein, lui, le corps dansant s’avance avec sérénité en une succession de postures. Entre eux deux, toute la place est offerte à la libre évolution de chacun, lisible en creux dans un espace béant qui tient le centre. Le son est contenu dans sa lisière, un clair-obscur entrecoupé d’explosions brèves. Quoique amplement vêtue, et même chaussée, Claire Newland est une sculpture vivante. Elle s’enroule autour de son propre corps, le déplie, le déploie de pose en pause, l’ordonne selon un axe toujours lisible, segmentant avec souplesse un temps alenti. De la main, elle a des gestes de cambodgienne ; parfois, c’est le pied seul qui s’exprime, concentre l’attention. La géométrie déliée de ses déplacements n’est pas moins remarquable, traversées, chemins de ronde avec stations, ponctués de mise en souffle, de halètements discrets, pendants offerts aux explorations fricatives du musicien. Un espace-son s’est creusé, dimension qui ouvre à d’autres rapports qui ne se réduisent pas au partage d’un espace commun : quand la danseuse au sol, d’une frappe répétée du pied pénètre l’espace sonore, quand elle déplace bruyamment sur le mur de lourds aimants, c’est un geste qui n’appelle pas de « réponse » musicale, pas plus que le mouvement d’une vague « n’appelle » celui d’une autre : ils ont lieu ; ensemble, c’est l’océan.
Mais parce que, dans cette dimension – que l’on pourrait dire, une fois encore, « sui generis » –, tout est possible, de petites dramaturgies à deux s’esquissent pourtant. Le saxophoniste se lève tout à coup pour, campé au beau milieu de la scène – un tapis –, proférer méphistophéliquement d’épineux buissons de phonèmes[6]. En fait des vers de Claude Gauvreau[7], poète québécois qui se définissait (en opposition aux lettristes) comme un « abstrait lyrique »[8]. Et de délivrer un solo médusant, dense et puissant, projection de gerbes de sons complexes qui tressent, selon leurs fréquences propres, le vol du martinet à celui de la libellule, des projections sifflantes qui fusent comme les étincelles autour d’un fraiseur ou d’un soudeur à l’arc ; ou bien il trace dans l’air un cercle de souffle autour de Claire Newland qui dessine, d’un battement oscillant des bras, de surprenantes évidences. ( ) En un sens certes moins cosmique, mais peut-être plus profond pour tenir, sinon d’un rêve inspiré, plutôt d’une impalpable réalité à éprouver ici et maintenant, ce sont les mots de Sun Ra qui nous viennent pour résumer la teneur et l’enjeu de cette soirée entière: « Space is the place ». »
Philippe Alen, texte
https://www.jazzin.fr/eric-brochard-michel-doneda-claire-newland/